Thierry Arnaud : « Nous avons fait évoluer la campagne présidentielle »

A moins de deux semaines du premier tour des élections présidentielles, l’équipe de NEWSROOM vous propose d’aller à la rencontre de ceux et celles qui les suivent au quotidien pour la chaine d’info : les reporters politiques. Premier volet de cette série avec Thierry Arnaud, journaliste sur BFMTV depuis 2006, aux Etats-Unis pendant 3 ans, puis en France depuis 2009. Deux ans donc qu’il suit Nicolas Sarkozy au quotidien, commente les deux dernières années de son mandat, mais surtout la campagne électorale depuis quelques semaines. La campagne, c’est donc le thème central de cet entretien.

Vous êtes rentré en France en 2009, principalement pour suivre le quotidien de l’Elysée, puis la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. La campagne de François Hollande est suivie par Apolline de Malherbe et Valérie Béranger, celle de François Bayou par Damien Fleurot, celle de Marine le Pen par Adrien Gindre. Jérémy Brossard « couvre » Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly… Comment se décide la répartition des suivis au sein d’une rédaction ?

Ce sont les chefs qui décident ! En l’occurrence aujourd’hui, Hervé Béroud, le directeur de la rédaction, avec Olivier Mazerolle s’agissant de la campagne. En ce qui me concerne, Guillaume Dubois, le patron de BFMTV, m’a fait cette proposition à l’été 2009. Je venais de passer quatre ans extraordinaires aux Etats-Unis et de couvrir la campagne présidentielle américaine de 2008. Mais j’étais prêt à passer à autre chose. J’ai accepté d’autant plus volontiers que je n’avais jamais couvert de campagne présidentielle en France. Suivre les deux dernières années du mandat de Nicolas Sarkozy et sa campagne présidentielle, ça ne se refusait pas !

 

Comment vit-on cette campagne au quotidien ? On dit de Nicolas Sarkozy qu’il est hyperactif, n’est-ce pas éprouvant de le suivre pendant 2 ans ?

thierry_arnaud_sarkozyC’est vrai que c’est un exercice qui peut vite devenir épuisant si on ne « gère » pas avec soin. Il y a toujours des moments où on peut décompresser. La clé, c’est profiter à plein des temps morts. Ca m’arrive au moins une fois par semaine, deux si possible. Par exemple, quand Nicolas Sarkozy fait uniquement des déplacements l’après-midi, j’essaie de me reposer le matin, de faire du sport… c’est ce qui est me permet de tenir la distance.
Ensuite, on essaie de travailler en tandem. De mon côté, je sais que je peux compter régulièrement sur Damien Fleurot, qui connaît parfaitement les rouages de la campagne de Nicolas Sarkozy. La semaine dernière, par exemple, il était très compliqué de suivre le déplacement de Nicolas Sarkozy à la Réunion mercredi et d’assister à la conférence de presse où il présentait son projet le lendemain. Damien s’est donc chargé de traiter la conférence de presse… et j’ai pu souffler un peu !

 

Une journaliste belge du quotidien le soir, Charline Vanhoenacker, a publié un billet sur son blog intitulé : « Ces journalistes qui se voient déjà à L’Elysée ». Elle explique, du côté du camp Hollande, les liens qui peuvent se tisser entre un journaliste poolé qui suit « 16 heures sur 24 pendant quatre mois », et un candidat. La journaliste a constaté une tentation de « le vendre » afin d’être entrainé dans son sillage et de vivre l’ivresse du pouvoir et les coulisses du palais pendant 5 ans. Comment réagissez-vous à tout cela ?

Forcément, des liens se créent entre journalistes, équipe de campagne et candidats. On passe beaucoup de temps avec eux, on se parle tous les jours, on voyage ensemble, on séjourne parfois dans le même hôtel… Mais je pense qu��il n’y a pas d’ambigüité à partir du moment où chacun est clair sur ce qu’il a à faire. Je ne reproche pas aux gens qui travaillent avec Nicolas Sarkozy de faire en sorte que l’image que projette leur candidat, que sa couverture soient les plus flatteuses possible, c’est leur travail, ils sont payés pour ça. De la même manière, eux ne peuvent pas me reprocher d’essayer de faire de la campagne de Nicolas Sarkozy la couverture la plus honnête possible. A partir du moment où chacun est clair sur ce que fait l’autre, on peut avoir de très bonnes relations sans qu’elles ne tournent a la connivence.

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On ne parle pas là de connivence entre le journaliste et l’équipe de campagne. L’idée est que le journaliste, de lui-même, prenne l’initiative et se dise « ce serait génial de suivre le quotidien de l’Elysée ».

Ambitionner de couvrir l’Elysée après le 6 mai quand on suit la campagne de François Hollande et s’il l’emporte, ça me semble parfaitement normal, logique. Comment un journaliste politique pourrait-il ne pas avoir envie de suivre au quotidien celui qui détient désormais le pouvoir suprême et dont il a suivi toute la campagne ? Moi, c’est le contraire que je trouverais choquant. De là à conclure que les journalistes qui le suivent « font » la campagne de François Hollande, s’efforcent de le pousser vers l’Elysée pour décrocher le job de leur rêve, il y a un pas qu’il me semble assez absurde de franchir. J’ai toujours été convaincu que quand on « vend » au lieu de rendre compte, ça se voit tout de suite, le téléspectateur n’est pas dupe ou stupide. Et puis ce serait individuellement s’accorder beaucoup de crédit que de penser qu’il suffit de dire du bien d’un candidat pour qu’il gagne des voix. La réalité est beaucoup plus compliquée que cela…

 

D’accord, donc selon vous il n’y a pas de danger pour l’objectivité…

(Il coupe) Je n’aime pas beaucoup le terme d’objectivité, à vrai dire je ne sais pas très bien ce que ça veut dire, je préfère parler d’honnêteté. J’essaie de faire mon travail, de dire ce que je pense de l’action de Nicolas Sarkozy et de rendre compte de sa campagne de la manière la plus honnête possible. Ca, je sais ce que ça signifie, je sais faire. L’objectivité reviendrait à dire qu’on détient la vérité absolue, ou qu’elle est toujours aisément cernable. Je n’ai pas cette prétention.

 

thierry_mars12Parlons à présent de la campagne. L’exercice est peut-être plus plaisant pour le journaliste, qui a plus accès au candidat, non ?

La différence est très importante entre l’accès qu’on pouvait avoir au président hier et l’accès qu’on a au candidat aujourd’hui. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est le jour et la nuit mais… Quand il n’était « que » président, avoir des échanges individuels avec Nicolas Sarkozy, face à la caméra ou off, c’était possible, mais exceptionnel. Depuis qu’il est aussi candidat, c’est une occurrence presque quotidienne. Evidemment, c’est dans son intérêt. Nicolas Sarkozy et son équipe ont parfaitement compris l’importance qu’ont prises les chaines infos et l’intérêt qu’il peut avoir à parler à BFMTV. Mais il faut aussi être lucide : même s’il nous parle tous les jours ou presque, Nicolas Sarkozy ne nous dit que ce qu’il veut bien nous dire. Ce n’est pas forcément toute la réalité de la campagne. Cela ne nous dispense pas faire de notre travail de journaliste, bien au contraire.

« A notre petit niveau, modestement mais indéniablement, nous avons fait évoluer la campagne présidentielle »

Thierry Arnaud

Justement, l’importance prise par les chaines infos dans cette campagne par rapport aux précédentes, c’est réellement quelque chose que l’on remarque et qui est déterminant ?

C’est quelque chose que nous avons tous ressenti, surtout les plus anciens d’entre nous. Quand j’ai commencé à couvrir au quotidien l’actualité politique française, fin 2009, BFMTV avait déjà sa place dans le paysage. Mais dans la couverture quotidienne de l’actu politique, cette place n’était pas encore centrale et il arrivait que l’on nous prenne un peu de haut… En deux ans et demi, l’évolution a vraiment été très spectaculaire. Nous occupons désormais cette place centrale, au cœur du dispositif média de toutes les équipes de campagne, et du monde politique en général ; on est passé d’un monde où on était parfois tout juste toléré à un environnement où notre couverture est toujours prise en compte, souvent recherchée, et parfois même sollicitée.

C’est très clair du côté de l’UMP et de Nicolas Sarkozy : ils ont tout compris du parti qu’ils peuvent tirer des chaînes d’infos. Regardez par exemple comment il a vraiment joué le jeu de notre « journée avec… » le 29 mars, en répondant à nos questions sur sa façon de faire campagne pendant quatre séquences du début à la fin de sa journée. François Hollande vient d’en faire autant d’ailleurs, avec Apolline de Malherbe, et c’est pour moi l’un des exemples les plus patents de notre montée en puissance. A un moment, dans sa loge, juste avant son discours, je demande à Nicolas Sarkozy ce qui change le plus dans la façon de faire campagne par rapport à 2007. Il répond – je cite, approximativement, de mémoire : « la plus grande différence, c’est vous, ce sont les chaines d’infos. Je sais que lorsque je fais un meeting, je parle aussi à 500 000 personnes qui regardent BFMTV, et, du coup, je fais mon discours de manière un peu différente, car la portée est différente ». A notre petit niveau, modestement mais indéniablement, nous avons fait évoluer la campagne présidentielle.

 

BFMTV sera également très scrutée le soir du premier tour. Connaissez-vous les détails du dispositif qui sera mis en place ?

On est en train de le caler en ce moment même, on va le peaufiner dans les prochains jours. On sera évidemment partout là où il faut être et on va mettre le paquet ! La campagne est un événement très important pour BFMTV. Pour l’instant, je trouve qu’on a plutôt bien fait notre travail, mais ce n’est pas terminé. C’est un gros enjeu, qui nous a déjà ramené de bons résultats en termes d’audience, mais il faut que l’on continue, et évidemment les soirées électorales sont l’occasion de montrer tout ce qu’un format comme le nôtre peut apporter de plus à la couverture d’une soirée électorale.

 

Une polémique récurrente revient à chaque soir d’élection, concernant la divulgation des résultats partiels, par les médias étrangers. On sait qu’il est interdit de les relayer pour les médias français, seulement, les réseaux sociaux, notamment Twitter, pourront avoir ce rôle de propagation de l’information. Cela peut-il avoir une influence sur les résultats ?

Je ne pense pas que cela aura une réelle importance. Concernant BFMTV, la règle est évidemment très claire : pas question de donner le moindre résultat, même sous forme d’allusion, avant l’heure officielle. Il faudra être très exigeant, très vigilant dans la façon dont on rendra compte avant 20 heures de ce qui se passe dans les QG de campagne, des humeurs des uns et des autres, que l’on soit très attentif à ne donner aucune indication de cette nature. Les gens ont forcément envie de savoir. Mais à partir du moment où les résultats fiables peuvent commencer à fuiter sur les réseaux sociaux ou ailleurs, après 18H, je pense que le laps de temps est trop court pour avoir une influence décisive sur l’élection.

 

thierry_newyorkAprès la présidentielle en France, un autre chef de l’Etat sera nommé, outre-Atlantique cette fois. Dans une interview accordée à Télésphère il y a quelques mois, vous faisiez état de votre envie de couvrir l’élection américaine. Vous couvrirez la campagne en longueur, sur plusieurs semaines, ou seulement à quelques jours de l’élection ?

Le dispositif et mon rôle éventuel ne sont pas encore calés mais, oui, évidemment, j’espère bien qu’on fera appel à moi ! La politique américaine sera toujours une passion pour moi. La campagne de 2008, l’élection de Barack Obama ont été formidables à couvrir et je suis évidemment très impatient de voir le prochain épisode. Cela dit, pour l’instant, on est monopolisé par la campagne française, on n’a pas le temps de penser à autre chose et, franchement, j’ai une chance formidable d’être là où je suis.

Entretien téléphonique retranscrit pour NEWSROOM – BFMFAN.

Mohamed

Ancien contributeur et rédacteur en charge des sections et entretiens BFM.

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  • Merci à Thierry Arnaud pour cette analyse très complète du lien qui unit journalistes et hommes politiques.

    Il est vrai que ces derniers ne veulent bien dire ce que nous souhaitons entendre, un bon moyen de s’approprier des voix sans pour autant donner l’entière vérité des faits (je fais notamment référence aux mises en scènes des arrestations de Forsane Alizza ces derniers temps, où les journalistes étaient « conviés » à filmer le tout).

    Bravo pour cette interview et bon courage à Thierry Arnaud qui aura beaucoup de pain sur la planche d’ici le premier tour !

  • Guillaume57

    Bravo pour cette interview et bravo à Thierry Arnaud pour son travail, sa concision, sa réactivité, sa bonne humeur à l’antenne de BFMTV, c’est un réel plaisir de le suivre quotidiennement durant cette campagne.

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