Grand Format : JT, la fin du star-système ?

13 septembre 2015, 20h35 : Claire Chazal tire sa révérence. Après près de 24 ans à la tête des JT du week-end, elle est la dernière « star du JT » à se retirer. Depuis les années 2000, la mode est en effet de confier la présentation des « grandes messes » de 13h et 20h à des personnes de terrain. A la rentrée 2001, David Pujadas est le premier d’une liste désormais longue, qui s’est allongée depuis le début des années 2010. Les chaînes infos, en plus de changer la donne au niveau du tempo de l’info, ont aussi eu leur influence sur ce mouvement. Nombreux sont les journalistes qui sont passés par la case « reportage en chaîne info » avant d’accéder aux journaux des grandes chaînes. Julian Bugier (BFM -> iTELE -> France 2), Gilles Bouleau (LCI -> TF1), Anne-Claire Coudray (LCI -> TF1), Laurie Milliat (iTELE -> M6), en font partie parmi d’autres. Ainsi, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre dans la longue et tumultueuse histoire du journal télévisé, apparu le 29 juin 1949.

Incarner l’info ?

Le 29 juin 1949, à 21h, la RTF lance son premier journal télévisé. Pierre Sabbagh commente les reportages en direct, depuis les studios de la rue Cognacq-Jay. Mais à l’époque, personne n’incarne l’info. Pas de plateau, juste des reportages, à l’instar des actualités diffusées au cinéma. Il faudra attendre 1954, pour qu’un présentateur fasse son apparition. Le pionnier de cette tradition s’appelle Claude Darget. Dès lors, les journaux seront icarnés. A 13h, à 20h : un ou plusieurs »journalistes-présentateurs » animeront le JT. Très rapidement, les visages de ces journaux deviennent identifiés. Ainsi Georges de Caunes (le père d’Antoine), Michel Droit, Robert Chapatte, Joseph Pasteur ou encore le célèbre Léon Zitrone deviennent les premières stars de l’info avant l’heure. On leur propose aussi d’autres émissions que le journal : ainsi, Léon Zitrone cumulera le JT et les éditions spéciales (mariages royaux, 14 juillet, Eurovision) avec Intervilles, ou les courses hippiques. Robert Chapatte présentera aussi le Tour de France durant cette période. Cela ne fera que décupler leur popularité.

Mais à l’époque, le journal télévisé n’est pas présenté par une seule personne comme aujourd’hui. Plusieurs présentateurs alternent. C’est en 1971 que la formule actuelle apparaît. Joseph Pasteur est le premier présentateur unique du journal télévisé sur la première chaîne de l’ORTF. Mais l’indépendance voulue par le directeur de l’époque, Pierre Desgraupes, et l’apparition des jeunes pousses de l’info (Etienne Mougeotte, Jean-Pierre Elkabbach, Philippe Gildas, François-Henri de Virieu) déplaît au pouvoir en place. La formule dite de « l’homme tronc » ne durera qu’un an. Il faudra attendre 1974, et l’éclatement de l’ORTF, pour que l’incarnation du JT soit renforcée. Roger Gicquel prend la présentation du 20h de TF1. Yves Mourousi le 13h. A partir de 1977, Patrick Poivre d’Arvor devient le seul présentateur du 20h de France 2. Encore plus que leurs prédécesseurs, ils deviennent des stars de l’info : par leur ton, leur style de présentation, ils dénotent. Et si le début du premier quinquennat de François Mitterrand mettra un léger coup d’arrêt (voir Grand Format sur les duos du mois de janvier) à cette évolution, la cohabitation offrira l’avènement définitif de cette formule. En 1987, Patrick Poivre d’Arvor prend la tête du JT de 20h de TF1. En 1988, c’est à Jean-Pierre Pernaut que l’on offre le siège d’Yves Mourousi au 13h, sur une TF1 récemment privatisée. Quelques années plus tard, en 1991, Claire Chazal prend la tête des week-end de TF1. PPDA – Pernaut – Chazal : tel est le trio roi de l’info des années 90 et 2000. Ils font la une des journaux à papier glacé. Au même moment, sur France 2, les présentateurs se succèdent, faisant une ou deux saison chacun.

Comment les chaînes infos ont-elles changé la donne ?

3 septembre 2001. David Pujadas fait son arrivée à la tête du 20h de France 2. Il succède à Claude Sérillon et Bruno Masure. A l’époque, c’est un inconnu du grand public. Après un passage sur TF1 comme reporter, c’est sur LCI qu’il est remarqué à la présentation du Grand Journal de la chaîne de 18h à 20h, et du rendez-vous politique de la chaîne 100% politique.

Les chaînes infos font figure de centre de formation pour la présentation des journaux. Leur journalistes touchent à tout : reportage, montage, présentation. Les différents directeurs de l’information des grandes chaînes l’ont bien compris et les jokers des différents grands JT sont désormais choisis dans les deux pépinières qui existent en ce début des années 2000 : LCI et iTELE. Sur TF1, Thomas Hugues, Julien Arnaud, Audrey Crespo-Mara, Anne-Sophie Lapix sont tous issus de LCI, alors qu’Harry Roselmack arrive tout juste d’un an à iTELE après quelques années à France Info. Sur France 2, Marie Drucker et Julian Bugier (notre photo, aux côtés de Sonia Chironi) viennent d’iTELE, Laurent Delahousse, après un passage sur M6, a été formé à LCI tout comme Jean-Baptiste Marteau, le dernier arrivé aux JT.

Inéluctablement, à partir d’un moment, ces jokers peuvent être amenés à devenir titulaire. Moins people, protégeant plus leur vie privée, moins intouchables, ils sont l’exact opposé des « rois de l’info » décrits précédemment. Quand TF1 choisit de prendre Gilles Bouleau comme joker puis titulaire à la présentation du 20h de TF1, en lieu et place de Laurence Ferrari, c’est son profil de grand reporter qui est mis en avant : ancien reporter à l’international sur LCI, il a été correspondant de TF1 à Londres puis Washington. Idem lorsqu’Anne-Claire Coudray devient joker puis titulaire des JT du week-end, remplaçant Claire Chazal. « Bébé TF1 », où elle travaille depuis 2000, elle a couvert les événements en Côte d’Ivoire, les opérations de la France au Mali, la visite de Benoit XVI en France ou encore les élections américaines pour TF1, tout en étant joker sur LCI. On fait d’une pierre deux coups : à la fois, on rajeunit la présentation du JT et on essaye d’apporter de la crédibilité avec un homme/femme de terrain.

Mais est-ce vraiment la fin du star-système ?

Nathalie Lévy, présentatrice de News et Compagnie sur BFMTV, répondait dernièrement à cette question, dans l’Interview Médias le Mag – Puremédias :

« Ce n’est pas fini, je ne pense pas. Mais tout se mélange, tout est possible. Je viens aussi du terrain, j’étais au Proche-Orient, c’est là-bas que j’ai fait mes classes, j’ai couvert un certain nombre d’événements pour BFMTV. On peut faire les deux, ça nous apporte une densité, sans doute. Mais ce n’est pas nécessaire. Ce grand rendez-vous qu’est le Graal du 20 Heures – personnellement je ne me sens pas du tout concernée – mais on n’a pas un 20 Heures très incarné avec Alain Marschall (sur BFMTV) ? On n’a pas des journaux très incarnés, que ce soit les matinaliers ou en journée ? Il me semble que si, et ils n’ont pas nécessairement fait du terrain. Ça ne leur enlève rien, au contraire.«

Si le journal de 20h est moins prisé qu’il y a quelques années, où l’objectif de tout journaliste télévisuel était de présenter le 20h, la grande messe de l’info reste quand même courtisée. Les présentateurs du JT restent les journalistes les plus connus, des vitrines de l’info, même s’ils ne font plus la Une de Gala ou Paris Match.

Regardez le débat de Médias le Mag consacré à ce sujet, diffusé ce mois-ci sur France 5 :