Le 5 avril 2016 : LCI arrive sur la TNT gratuite. En septembre prochain, c’est France Info TV qui fera son arrivée sur la TNT. A cette occasion, BFMTV a procédé (et procédera en septembre) à quelques modifications : habillage, disparition du ticker, logo, campagne de publicité. Mais du côté d’iTELE, la chaîne info du groupe Canal+, aucun changement de prévu. Déception pour les téléspectateurs mais aussi pour une rédaction, qui selon plusieurs sources, navigue à vue. « C’est une immense frustration de voir qu’on va passer de deux à quatre chaînes sans qu’on ne fasse rien. » déclare ainsi un journaliste de la chaîne au pure-player Les Jours.
Septembre 2015 : C comme changement
Le 3 septembre 2015, Vincent Bolloré prend officiellement les commandes de Canal+ et ses filiales, dont iTELE. Il place ses hommes, son équipe à la tête des différents pôles du groupe. A l’information, c’est l’ancien directeur de la rédaction de Direct Matin, Guillaume Zeller, qui est nommé. A ce moment-là, tout le monde, Guillaume Zeller compris, pense travailler avec l’équipe à l’époque en place à iTELE et l’information du Groupe Canal+ : Cécilia Ragueneau, la directrice générale et Céline Pigalle, la directrice de l’information du groupe. Raté ! Le vendredi 4 septembre, en plein après-midi, et au moment même de la conférence de la rédaction de la chaîne tombe un communiqué du Groupe Canal+ :
« Guillaume Zeller est nommé directeur de la Rédaction d’iTELE. Il succède à Céline Pigalle qui quitte le Groupe. Philippe Labro sera aux côtés de Guillaume Zeller dans un rôle de conseil et lui apportera son expertise. Jean-Christophe Thiery, président du Directoire de CANAL+, est chargé de développer la chaîne d’info du Groupe CANAL+. Le Groupe CANAL+ remercie Cécilia Ragueneau, directrice générale d’iTELE, qui quitte également le Groupe, et Céline Pigalle pour leur travail à la tête d’iTELE. »
En moins de 24h, le duo Pigalle-Ragueneau est remplacé par un trio Thiery-Zeller-Labro. Stupéfaction, larmes et même applaudissements : cette conférence de rédaction prend les formes d’un adieu, comme le raconte un témoin de la scène au site Les Jours. Guillaume Zeller est ainsi propulsé à la tête d’iTELE, sans aucune expérience de l’info en continu. Qu’importe. Pour l’épauler, ce ne sera pas Laure Bezault, secrétaire générale de la rédaction, remerciée le vendredi 11 septembre mais Virginie Chomicki, ancien visage de LCI, nommée le lendemain au poste de directrice adjointe d’iTELE « en charge de la mise en place et du développement de CNEWS. ». Son nom avait déjà circulé pendant plusieurs mois pour un poste au sein de la rédaction. Elle avait été chaudement recommandée, mais Laure Bezault ne l’aurait pas retenue, à l’époque. « On se croirait dans une émission de téléréalité : chaque vendredi, il y a quelqu’un qui part. » déclare alors un journaliste à Rue 89. Et pour chapeauter le tout : deux proches de Vincent Bolloré, Philippe Labro, avec qui il a créé Direct 8, et Jean-Christophe Thiery, depuis 15 ans aux côtés du milliardaire breton. Le cadre est désormais posé.
Nouvelle équipe pour un nouveau projet ?
CNEWS. C’est en 5 lettres que tient, au mois de septembre, l’avenir d’iTELE. Fin septembre, Vincent Bolloré rend une visite à la rédaction de la chaîne. Le message est simple : ne plus dire de mal du groupe et commencer à travailler. Le message passe mal dans une rédaction qui produit 19h d’information par jour. D’autant plus que Vincent Bolloré reproche ses audiences moitié moins importantes que BFMTV, son habillage, ses incarnations à l’antenne, son nom. Pour remédier à cela : plus de moyens humains et financiers, une ligne éditoriale moins hard news et plus portée sur le magazine et un nouveau nom : CNEWS.
La fin du hard news ? Et voilà le 13 novembre. La machine se met en place et la nouvelle direction se rend compte que l’équipe et le dispositif mis en place depuis mai 2012 par Céline Pigalle fonctionne. Il y a un savoir-faire lorsque la chaîne bascule en breaking news, la rédaction se transformant en une machine de guerre. Guillaume Zeller continue à observer et à apprendre auprès d’Alexandre Ifi, Valentine Desjeunes et des autres journalistes tel « un stagiaire » et la rédaction est clairement en « autogestion », d’après certains journalistes de la chaîne.
Dernier rebondissement en date, le président de la Société des Journalistes (SDJ) du groupe, Olivier Ravanello qui s’inquiète dans les colonnes du quotidien du soir Le Monde de l’indépendance des journalistes de la chaîne et des nombreux cas de « censure » notamment chez Spécial Investigation. La SDJ prend alors l’initiative de rédiger une charte sur l’indépendance du journalisme. Le spécialiste des questions internationales essuie alors un refus catégorique de la part des équipes de Vincent Bolloré, estimant qu’un comité d’éthique est déjà en place et que c’est à eux de faire le job. Cette sortie publique n’a d’ailleurs pas plu à Canal+, Olivier Ravanello étant selon Le Canard Enchainé sur la « liste noire » de la chaîne. La direction désormais attend la loi de protection du métier de journaliste, proposée par le député PS, Patrick Bloche.
Un navire qui navigue à vue
Aujourd’hui, la rédaction d’iTELE n’a aucune vision de l’avenir proche (la rentrée prochaine), a une direction encore en période d’apprentissage et un nouveau projet éditorial qui se fait attendre. « C’est devenu une espèce de barque qui flotte pour aller dieu sait où » note un ancien de la chaîne. CNEWS aura vite été enterré. L’argent promis par Vincent Bolloré aussi. Avec les résultats de Canal+ en forte baisse, la priorité n’est pas iTELE. Canal+ passera toujours avant sa petite sœur. La cure de minceur risque de faire mal dans une rédaction où le manque de moyens se fait sentir. Pour faire une bonne information, il faut des moyens : iTELE, même si adossée à Canal+, n’en a pas assez pour réussir à faire concurrence à une BFMTV qui a atteint l’équilibre depuis 3 ans, quand la chaîne info du groupe crypté est toujours déficitaire et perd 15 millions d’euros. Les moyens sur le terrain vont du simple pour iTELE au double voire au triple pour BFMTV.
Quel avenir pour iTELE ? Retour à la case départ : le projet que le groupe Canal+ souhaite mettre en place à iTELE ressemble de plus ne plus étrangement à celui mis en place quatre ans durant par le duo Pigalle-Ragueneau. Pendant ce temps-là, Vincent Bolloré souhaiterait faire bouger « les incarnations de la chaîne ». Si l’idée de remplacer Bruce Toussaint au navire amiral de la chaîne, La Matinale Info, a été aussi vite enterrée qu’elle a fuitée dans la presse, d’autres sont dans le viseur. Le 18h Politique d’Audrey Pulvar, à la peine face à BFM Politique, et Tirs Croisés de Laurence Ferrari, dont Vincent Bolloré s’était ému des audiences proches de la tranche estivale L’Édition du soir, seraient dans le collimateur.
Le navire iTELE, malgré sa couleur jaune canari, est en pleine brume et dans ce contexte, semble difficilement armé face à une concurrence qui grandit de jour en jour. Le quotidien L’Opinion fait savoir qu’une revente de la chaîne info est possible. Lorsque l’on sait que Mathieu Pigasse, actionnaire du journal Le Monde se montre particulièrement intéressé et que Vincent Bolloré s’intéresse peu à l’information, un ensemble de possibles est ouvert. LCI et France Info TV arrivant dans la bataille, le PAF peut-il supporter quatre chaînes d’information ? S’il y a un mort ce sera ou iTELE, ou LCI.
M.A. / M.M.