Édito. Hier matin, vous avez peut-être été obligé, comme moi, de changer vos habitudes. Plusieurs médias audiovisuels étaient en grève : France Inter, France Info, iTELE, ne proposaient pas, mercredi matin, leurs programmes habituels. Des bulletins de 10 à 15 minutes toutes les demi-heures entrecoupés de musique sur France Inter, de même sur France Info. Des rediffusions de Documents sur iTELE. Les douces voix de Patrick Cohen, Fabienne Sintès et Bruce Toussaint ne vous ont, peut-être, pas réveillées ce matin. Et voilà comment, ce matin à 7h18, une chaise vide vous a peut-être accueilli sur France Info.
Ces grèves restent assez représentatives d’une crise des médias qui est loin de ne toucher que les journaux papiers. L’audiovisuel, aussi, est touché. D’un côté, dans les médias privés, un mouvement de concentration des médias historique. D’un autre côté, dans les médias publics, un contexte de baisse des dotations de l’État et de restriction budgétaire.
Une histoire de la concentration
La concentration des médias consiste en le regroupement de plusieurs médias dans les mains de grands industriels. La raison ? Une grande crise économique qui touche les médias. Informer ça a un coût : un coût matériel (caméras, voyages, etc.), un coût humain (journalistes, pigistes, etc.). Certains médias détenus par des petits groupes peuvent-être exangues, voire au bord de la faillite.
Ce mouvement date de la fin des années 80. Avec la libération des ondes, les grands industriels s’intéressent à l’audiovisuel, car la télé c’est l’info. La même logique qui avait opéré pendant des dizaines d’années concernant le monopole d’État, prend forme dans le privé. C’est ainsi que c’est au sein du groupe Havas que naît l’idée d’une chaîne à péage et à qui est attribué la quatrième chaîne, future Canal+, avec la participation minoritaire de la Générale des Eaux. C’est ainsi que les Lagardère, Bouygues, Bertelsemann (CLT-RTL) et Berlusconi s’intéressent à la télévision. Le média télévisuel c’est la publicité, des rentrées d’argent ; c’est l’info, le (contre-)pouvoir. Bouygues rachète à l’État TF1, Berlusconi puis Lagardère seront propriétaires de la 5, Bertelsemann de la sixième, RTL6 qui deviendra M6. Dans les années 90 et 2000, ce sont les radios qui se rachètent entre-elles : c’est ainsi que les groupes NRJ, RTL, Lagardère, NextRadioTV se forment par cession-acquisitions de radios.
Mais à partir de la fin des années 2000, ce mouvement prend une autre tournure : avec la multiplication des chaînes de télévisions, avec la crise de la presse écrite, les grands industriels sont tentés de créer de grands groupes multimédias. Bergé – Niel – Pigasse rachètent Le Monde, L’Obs, Courrier International. Alain Weill crée BFMTV, rachète 01Net, crée la déclinaison de BFM Radio en télévision avec BFM Business. Ces trois dernières années, le mouvement s’est amplifié, avec l’arrivée sur le marché de Patrick Drahi, propriétaire de Numéricable, et de Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Bolloré et de Havas. Leur but, créer de grands groupes gérant les contenus et la distribution de ceux-ci. C’est ainsi que Vincent Bolloré, après avoir vendu Direct 8 à Canal+ contre des parts du groupe Vivendi, est peu à peu monté dans le capital du groupe propriétaire de Canal+ : il a racheté Dailymotion, pris des parts dans TIM (en Italie). Patrick Drahi a successivement racheté des journaux comme l’Express, Libération, des groupes audiovisuels comme NextRadioTV, des opérateurs comme SFR. Toujours le contenu et la distribution du contenu.
Le problème que peut poser la concentration, c’est d’avoir tout dans les mains d’un seul homme. Comment les journalistes des différentes rédactions peuvent résister aux possibles pressions éditoriales mises par ce phénomène de concentration. Car un homme d’affaire qui gère un média, a des partenaires commerciaux, vend des pages de publicité : si un des partenaires est sous les feux des projecteurs de l’actualité, comment la rédaction doit traiter cette info ? N’y a-t-il pas des risques de pression ? De censure voire d’auto-censure ? Des comités éditoriaux indépendants sont mis en place pour préserver, le mieux que faire se peux, les rédactions de cela.
Autre question qu’amène la concentration : un média d’information doit il faire du profit ou informer ? Dans le meilleur des cas, il faudrait qu’il fasse les deux. Mais l’économie des médias, aujourd’hui, fait qu’il est difficile de faire les deux. La recherche du profit ne peut-elle pas être contre-productive dans la mission d’information ? La tribune des salariés d’iTELE le dit : « la direction fait le choix de la rentabilité« . L’information coûte cher et est-ce que l’information peut, aujourd’hui, être bénéficiaire ?
C’est ce faisceau de questions qui est au cœur actuellement de la grève a iTELE, avec une diète sévère pour la rédaction de la future CNEWS.
Faire mieux avec moins : informer sur le service public
Sur le service public, la question est différente : les subventions de l’État pour le service public sont en baisse depuis 10 ans. Le chantier de la maison de la radio qui devait se terminer en 2013 est toujours en cours et a fini par exploser son budget. Pour contrer ces problèmes économiques : l’apparition des publicités commerciales sur le service public pose un problème d’identité.
Même si on est très loin de la grande grève de 27 jours, il y a un an, le climat reste compliqué. A France Info, la possibilité de voir leur nom « France Info » utilisé par la nouvelle chaîne info publique déplaît. De même, la question de la formation des personnels commence a échauffer les esprits : c’est ainsi que l’antenne a été perturbée une bonne partie de la journée et coupée quasiment tout l’après-midi. A France Bleu, des suppressions de postes sont prévues pour faire face aux baisses de budget : une quarantaine de postes auraient été supprimés sur l’ensemble du territoire depuis 2014.
Faire mieux avec moins. Tel semble être le leit-motiv d’un service public contraint et forcé de se serrer la ceinture.